Résistance rétinienne

Il s’agit d’un projet de 2011, mené avec une amie, Olivia Chung, autour des messages de Radio Londres. Je présente ci-dessous mes propres illustrations.

Je suis issue du genre de famille française décrite dans L’Art français de la guerre (Alexis Jenni, Gallimard, 2011). J’avais un arrière grand père résistant qui a semé des souvenirs dans les maisons où j’ai grandi : un brassard FFI, une affiche pro-alliés, des livres à pertes d’étagères sur la deuxième guerre mondiale, la résistance, le nazisme. Le souvenir de ces messages a traversé les générations et j’en ai moi-même hérité. J’ai un besoin impérieux de ne pas les laisser tomber dans l’oubli et une certaine tendresse pour la poésie de ces phrases et l’ingéniosité de ces hommes qui face au pire ont su choisir des phrases riches de sens et fondées sur une culture commune pour communiquer et coordonner leur combat.

J’avais, cependant, beaucoup trop de dévotion pour cette période. Imaginer se distancier de ces messages me paraissait impossible. Je comptais en faire un recueil assez triste et je peux le dire, a posteriori, très peu attrayant. C’est alors qu’Olivia m’a proposé cette idée beaucoup plus vivante et ludique : les illustrer.

Après des mois de recherche, nous disposions d’une liste assez conséquente et fiable de phrases. Il était capital pour nous que les messages soient authentiques, il ne s’agissait pas de faire un livre amusant ou simplement artistique, notre volonté restait de faire transiter par nos dessins un pan de la culture française. Car ces messages, même si le sens nous parvient parfois altéré, restent le témoignage d’un refus de délaisser la culture et la dignité d’une langue et d’un peuple, sous prétexte de guerre, voire même de s’en servir pour encoder des messages stratégiques avec finesse et intelligence. Nous avons scindé cette liste en trois parties : les phrases qu’illustrerait Olivia, les phrases que j’illustrerais et les phrases que nous illustrerions par des jeux typographiques.

Là, il fallut encore chercher : De quelle couleur dessiner ? Pourquoi ? Dans quelle police de caractère composer les textes ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes plongées dans les archives de l’époque et nos cours de typographie. Nous en avons extrait les principes suivants : les illustrations d’Olivia seraient grises anthracites pour évoquer les copies carbones et les croquis au crayon à papier, mes illustrations seraient bleues encres pour les plumes d’écoliers. Les messages seraient composés en Garamond, une police traditionnelle française, pour symboliser l’engagement français, sa simplicité et son impact culturel ; mais aussi en Century School Book et en Franklin Gothic, des polices anglo-saxones à l’image des journaux britanniques de l’époque. De plus nous insérerions des pages « bruits de guerre », reproductions de scènes de résistance accompagnées d’extraits de discours et de chants diffusés par Radio Londres, afin de ne pas perdre de vue la réalité des combats. 

Voici les clefs de cette collection, nous vous la livrons en espérant que vous la traiterez avec le même respect et la même tendresse que nous l’avons fait. Souhaitant également qu’elle œuvre pour la préservation de la mémoire de cette époque dont il reste aujourd’hui peu de témoins.

extrait de la note d’intention